LES OCCIDENTAUX

On n’est jamais assez attentif à la manière dont on est désigné. Par exemple comme : « les occidentaux » : Monsieur Poutine dit cela, mais aussi les journalistes, les commentateurs, pour parler d’eux-mêmes par rapport à d’autres : quels autres ? Les Orientaux ? les Asiatiques ? Pas tant que cela. Lorsqu’il est question de Chinois, on dit : les Chinois, d’Américains, on dit : les Américains, des Russes, on dit : les Russes, là où hier, on disait les communistes ou les soviétiques.

En fait on dit les occidentaux, lorsqu’on désigne cet ensemble qui les oppose à d’autres blocs, le bloc soviétique par exemple ou la Chine, vu comme des forces antagonistes. Car on l’aura compris, les Occidentaux c’est d’abord un camp, celui des alliés de la deuxième guerre mondiale, (auxquels on ajoute les Allemands). En fin de compte, en temps de guerre, les occidentaux ce sont les Européens sous commandement militaire américain autant dire membres de l’OTAN qui est le prolongement militaire de cette alliance. Le terme s’est structuré en tant que forme géopolitique et idéologique dans cette opposition. Reste à savoir si cette définition définit une identité, laquelle, et évidemment ce qu’elle remplace ?

L’Occident dans son acception première désigne l’ouest, le couchant, la terre du soir (l’Abendland) comme disent les Allemands. l’Orient est son contraire, c’est la terre du matin, là où se lève le soleil et les dieux des grandes religions . La première articulation est là, elle est solaire et cosmopolitique. La seconde est religieuse et politique. Ainsi le monde a connu l’Empire romain d’Orient et celui d’Occident : Constantinople et Rome et Charlemagne sera fait Empereur d’Occident en l’an 800. De là à résumer en assimilant l’Orient islamique à l’Occident chrétien, il n’y a qu’un pas franchi parfois notamment par Huttington dans son livre « le choc des civilisations » qui voit arriver le temps de l’affrontement des conceptions du monde. Avant lui l’Allemand Oswald Spengler avait décrit peu avant la première guerre mondiale ce qu’il appela : « le déclin de l’occident ».

C’est un peu là où je voulais en venir, à cette notion péjorative d’Occident liée peu ou prou à celle de déclin. C’est sans doute aussi ce qu’il y a dans la tête de monsieur Poutine lorsqu’il manifeste son mépris pour la décadence occidentale magnétisée par la culture anglo-saxonne dans laquelle elle se dissout. Inutile d’en décliner les modes : le dernier MacDo installé à Moscou comme la dernière « Love parade » toutes choses qui ont dû profondément irriter ceux qui avaient vu se lever le rideau de fer non comme une libération culturelle mais comme une menace sur leur propre identité. Auraient-ils oublié du reste le moment où Pierre le Grand voulait faire de St Pétersbourg une grande capitale occidentale de Russie.

On a bien compris aussi, du moins ce sont ses thèses, que le « Tsar » Poutine veut quant à lui conserver les valeurs anciennes de la terre des ancêtres Russes, de la religion chrétienne orthodoxe et ne pas basculer dans la mondialisation à leadership américain. C’est sans doute une raison de son combat. L’autre est de s’opposer par la force à la puissance d’attraction que le modèle occidental exerce sur les anciennes républiques soviétiques qu’il considère comme appartenant historiquement à « la Russie éternelle de Kiev à Moscou ». Mais cela n’est plus une question de civilisation. C’est la volonté de reprendre ce qu’un « empire éclaté » a laissé disjoint après la faillite du système soviétique et cela s’apparente à une situation de guerre coloniale plus qu’à autre chose. C’est là la raison du déclenchement accéléré d’un conflit qui devait advenir un jour ou l’autre, tout le monde l’aura compris. 

Mais que dit la guerre en Ukraine ? Est-ce une guerre de civilisation ou une guerre de nations ? Les deux sans doute, mais un peu de lucidité nous montrerait que nous devons distinguer notre statut d’Occidentaux de notre identité d’Européens. La situation actuelle issue de ce conflit a montré une nouvelle solidarité de fait, un nouvel élan, avec les nuances que l’on connait entre Est et Ouest de l’Europe, mais, outre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et le fait que l’Ukraine reconquière son identité perdue par les armes, il y a à considérer notre avenir comme entité et comme puissance. Peut-être que monsieur Poutine en a créé les conditions à son corps défendant. C’est pourquoi l’enjeu de cette sortie de guerre qui devra avoir lieu un jour d’une façon ou d’une autre, (en tout cas il faut le souhaiter) est d’aboutir à un nouvel équilibre des puissances continentales.

De ce point de vue la diplomatie européenne devrait s’imposer si elle veut éviter que le nouveau Yalta (je rappelle que c’est une ville de Crimée) ne se fasse pas une fois de plus sur le dos des Européens le moment venu.

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